Dans quelle mesure la dédollarisation peut-elle affecter l'économie américaine et le statut du dollar comme monnaie de réserve mondiale ?
Compte tenu du ralentissement de l'économie et de l'inflation élevée, la stabilité du dollar américain a récemment suscité des inquiétudes. Les économies BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) font les gros titres en cherchant à créer une monnaie concurrente et en appelant à la dédollarisation, en particulier dans le commerce du pétrole et des matières premières. Cependant, on parle de l'effondrement du dollar depuis les années 1980, mais la devise continue de jouer son rôle de monnaie de réserve de premier plan dans le monde. Bien que nous puissions observer une baisse marginale des échanges en dollars, les matières premières étant échangées dans d'autres monnaies, une disparition pure et simple du dollar ne semble pas plausible, car près de 58 % des réserves mondiales restent libellées en dollars américains et sont utilisées pour les paiements commerciaux. Le yuan (3 % des réserves mondiales) n'est pas une option pour le moment, en raison des limitations imposées par le gouvernement chinois sur les transferts de capitaux.
Globalement, comment la dédollarisation peut-elle impacter les relations commerciales et financières entre les pays ?
La prédominance actuelle du dollar américain rend les autres économies vulnérables aux fluctuations de la politique monétaire américaine, qui peuvent ne pas correspondre à leurs conditions économiques nationales. Une dédollarisation réduit l'impact des répercussions géopolitiques, telles que les sanctions américaines contre des pays comme la Chine et la Russie, en permettant à d'autres pays émergents d'effectuer des transactions commerciales et financières directes avec eux. En outre, elle peut contribuer à réduire les coûts en évitant la conversion intermédiaire en dollar américain. Cela favorisera l'accroissement du commerce bilatéral et facilitera les investissements. Les pays de la zone euro pourront également stimuler l'utilisation internationale de leur monnaie, l'euro pour assurer une plus grande autonomie financière.
Quels sont les avantages et les inconvénients pour les pays de se dédollariser, notamment en termes de stabilité financière, de commerce international et de souveraineté monétaire ?
La dédollarisation vise à promouvoir un système financier mondial plus diversifié et plus résistant, à renforcer les monnaies nationales, à accroître l'indépendance de la politique monétaire et à réduire la vulnérabilité aux sanctions américaines, qui peuvent parfois être utilisées comme un outil politique.
Néanmoins, un changement de monnaie internationale ne se fera pas sans problèmes. À court terme, cela pourrait entraîner une instabilité dans le commerce international et la souveraineté monétaire en raison de l'acceptation limitée des monnaies alternatives à l'échelle mondiale. Jusqu'à présent, le dollar américain a fourni des marchés financiers importants, liquides et fonctionnant bien. De plus, les pays dont la dette est substantiellement libellée en dollars peuvent être plus vulnérables aux fluctuations monétaires et aux inversions des flux de capitaux, ce qui risque d’exacerber des crises financières.
Dans quelle mesure Maurice est-il exposé aux risques associés à la dépendance au dollar américain ?
En 2022, le dollar américain représentait 72,9 % de nos importations, ce qui pourrait faire penser que Maurice encourt un risque en cas de dédollarisation. Cependant, si l'on examine les pays partenaires de nos importations, il s'agit principalement de la Chine, des Émirats arabes unis et de l'Inde, qui ensemble représentent près de 40% du total de nos importations. Ces mêmes pays se sont engagés à commercer dans leur devise ou de favoriser les devises telles que le yuan ou la roupie indienne, ce qui réduit notre dépendance envers le dollar. Si l’on ajoute la France qui représente 7.3% de nos importations, nous avons environ 50% de nos importations qui pourraient être libellés en d’autres devises. De plus, nous bénéficions d’un excédent commercial avec les Etats-Unis, respectivement 821Md et 802Md de roupies en 2021 et 2022 ce qui est un autre atout favorable. Enfin, la majeure partie de la dette mauricienne est libellée en roupies, ce qui limite le risque d’incapacité du pays à rembourser ses dettes, contrairement aux pays comme le Sri Lanka dont les dettes étaient principalement en dollar.
Comment les investissements étrangers à Maurice pourraient-ils être affectés par la dédollarisation et comment Maurice pourrait-il les atténuer ?
Lorsque l’on regarde le mix de nos partenaires commerciaux, la dédollarisation est peut-être une aubaine pour Maurice. Aujourd’hui, le pays fait face à une dépendance entre le dollar d’un côté et l’euro de l’autre, ce qui nous rend vulnérables à un dollar trop fort, comme ce fut le cas en 2022. En revanche, si le panier de devises s’accroit et que nous ne sommes plus dans l’obligation de changer les autres devises en dollar pour pouvoir commercer, alors cela nous offrira une plus grande stabilité du taux de change, ainsi qu’un plus grand confort pour les investisseurs étrangers. Cependant, un tel processus sera long car il faudra que les devises alternatives gagnent la confiance des banques centrales. D’ailleurs, après plus de 20 ans d’existence, la seconde devise principale qu’est l’euro ne représente que 21% des réserves mondiales.
Finalement, comment la dédollarisation à Maurice pourrait-elle affecter les particuliers et les entreprises qui investissent dans des actifs libellés en dollars américains ?
De manière générale la dédollarisation est une situation favorable pour les pays émergents car elle permet de diversifier leurs réserves vers d’autres devises de référence et ainsi limiter leur dépendance à la politique monétaire américaine. En effet, lorsque les Etats-Unis coupent le robinet de la création de dollars, les économies les plus fragiles ou dépendantes sont les premières à en ressentir les effets et les banques centrales doivent puiser dans leurs réserves pour limiter la dépréciation de la devise nationale. En outre, le phénomène actuel est à rapprocher de la situation qu’a connue la Grande Bretagne au siècle dernier, lorsque la prédominance de la livre sterling était principalement liée aux échanges de matières premières libellées en GBP. Suite aux deux guerres mondiales les transactions ont basculé en dollar américain permettant aux Etats-Unis de prendre l’hégémonie monétaire. Aujourd’hui, même s’il ne s’agit pas d’une guerre mondiale physique, on assiste à une redistribution des cartes, vers le multilatéralisme. Les États-Unis pourraient s'inquiéter du financement de la dette croissante, si jamais d’autres devises prenaient un vrai ascendant. Pour le moment le dollar représente encore une devise de référence puisqu’elle compte pour 50% du commerce international mais 58% des réserves de changes, ce qui indique que les banques centrales favorisent la détention de dollar du fait de son rôle de valeur refuge. Enfin sur les 22 dernières années la part du dollar dans les réserves mondiales est passée de 70% à 58%, ce qui montre que le processus est lent.