Cela n'a pas surpris grand monde lorsque Maurice a été applaudie sur la scène internationale pour les progrès techniques importants réalisés par le pays au niveau du cadre mis en place pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/LFT) – un accomplissement qui a même permis l'exclusion de l’île de la liste grise du GAFI et de la liste des pays tiers à haut risque du Royaume-Uni. Yogesh Gokool, Cadre supérieur – Global Business, s'attarde sur le sujet, en mettant un accent particulier sur comment Maurice peut reconstruire son image de centre financier international de substance, et nous fait part de ses réflexions.
Cette affaire de liste grise du GAFI a longtemps tenu en haleine le monde du Global Business. Quel est l'élément clé qui a permis à AfrAsia Bank d'attaquer de front ce défi ?
La tâche la plus importante, et parfois difficile, a été d'expliquer à nos clients et à nos partenaires et banques correspondantes la raison de notre inclusion sur cette liste noire. La communication a joué un rôle essentiel dans la dissipation de leurs inquiétudes et permis de les rassurer quant aux contrôles stricts mis en place par notre Banque en matière d'intégration de nouveaux clients et de suivi des transactions. Il fallait prendre le temps d'expliquer le pourquoi du comment, ainsi que les éventuelles conséquences d'une telle inclusion, et de rassurer nos parties prenantes quant au fait que nous étions en train de déployer tous les efforts nécessaires, et de collaborer avec le gouvernement, pour régler le problème dans les meilleurs délais.
Il est vrai que nous avions été touchés aux niveaux financier, opérationnel et de la renommée, les gestionnaires d'investissements préférant réorienter leurs instruments de placement vers d'autres juridictions, et Maurice se voyant dès lors soumise à des mesures de contrôle renforcées. Mais, maintenir une ligne de communication ouverte avec nos parties prenantes nous a permis de retenir notre clientèle et, je dois dire, que je suis fier de l'engagement et de la motivation de l'équipe car nous avons même réussi à attirer de nouveaux clients dans ce contexte difficile.
Étant donné que nous ne figurons plus sur la liste grise du GAFI, est-ce qu'une sortie de la liste noire de l'UE est également envisageable ?
Maurice s'est retrouvée automatiquement, si je puis m'exprimer ainsi, inscrite sur la liste noire de l'UE suite à son inclusion sur la liste grise du GAFI. Si l'on suit le même raisonnement, je dirais qu'il y a de fortes chances pour que nous soyons prochainement également rayés de la liste noire de l'UE - surtout que, depuis, nous avons également été exclus de la liste noire du Royaume-Uni. Et je fonde mon optimisme sur la sortie du Ghana de la liste de l'UE, immédiatement après son retrait de la liste du GAFI en juin 2021. Cela dit, cela ne signifie aucunement qu'il faut qu'on se contente de croiser les bras et d'attendre. Le processus d'exclusion de la liste devrait prendre au minimum 6 semaines et il est clair que, d'ici là, nous pouvons faire des choses pour accélérer notre sortie ou même déjà commencer à reconstruire l'image du centre financier international de Maurice aux niveaux régional et international.
Selon vous, que pouvons-nous faire, en tant que pays, pour reconstruire notre image ?
D'abord, il faut comprendre que reconstruire notre image en tant que CFI de renom ne se fera pas du jour au lendemain. Il nous a fallu plus de 25 années pour arriver au point où on en était avant notre inclusion sur la liste grise du GAFI. Je ne dis pas que cela nous prendra 25 autres années, mais il faudra certainement du temps pour rétablir et renforcer notre réputation en tant que centre financier et commercial conforme.
Je pense que ce dont nous avons besoin, avant tout, c'est d'une campagne marketing forte visant nos principaux marchés. Une campagne qui ne devra pas uniquement souligner les atouts du CFI de Maurice, mais également insister sur cette dynamique de résilience qui nous a permis de réaliser un progrès technique remarquable pour sortir de la liste. Certains diront qu'il ne faut pas remuer le couteau dans la plaie mais je pense que notre inclusion sur la liste grise du GAFI a fait tellement de bruit qu'il serait intéressant aujourd'hui d'en faire une force servant à la reconstruction de notre réputation.
Nous avons déjà mis en œuvre avec succès 39 des 40 recommandations du GAFI, ce qui nous place loin devant des juridictions telles que les États-Unis et le Singapour. Si, collectivement, le gouvernement et les acteurs du secteur privé acceptent de faire un petit effort supplémentaire, nous pouvons nous positionner comme le premier pays à avoir mis en œuvre la totalité des 40 recommandations. Il va sans dire qu'il s'agira là d'un message clé de la campagne visant à repositionner l'île sur la scène mondiale en tant que juridiction compétitive à niveau de conformité élevé.
De plus, compte tenu des exigences en pleine évolution des clients, je pense qu'il est grand temps que le monde du Global Business passe à l'étape supérieure en termes de services et d'offres. Il ne s'agit pas forcément de réinventer la roue, mais plutôt de nous concentrer sur des services à valeur ajoutée compétitifs, capables d'attirer les investisseurs internationaux vers Maurice. En parallèle, nous devrions également améliorer nos plateformes d'infrastructure, innover sans cesse pour conserver notre avantage concurrentiel face aux IFC émergents et investir dans notre personnel.
Mais je le répète, cette responsabilité de reconstruire notre image n'incombe pas uniquement au pays. Chaque acteur peut exploiter ses propres forces pour contribuer à la réalisation de l'objectif. Par exemple, AfrAsia Bank tire parti de ses connaissances et de son expertise régionales en matière d'investissements transfrontaliers sur les territoires africains pour entretenir d'étroites relations de partenariat avec ses pairs africains. Nous utilisons également le prix international qui nous a récemment été décerné - « Best Banking and Custody Provider: Global Custodian » – par l'AGF Africa Service Providers pour rassurer nos clients quant à notre capacité à répondre à leurs besoins tout en étant basés au sein du CFI de Maurice. Il est certain que ces récompenses internationales renforcent considérablement notre crédibilité malgré des conditions difficiles hors de notre contrôle.
Maintenant que nous ne figurons plus sur la liste grise du GAFI et que, potentiellement, la sortie de la liste noire de l'UE ne devrait tarder, à quoi ressemblera l'année à venir ?
Une fois que nous aurons élaboré une stratégie nationale forte pour reconstruire notre image et déployé celle-ci au niveau régional, nous pourrons nous attendre à une augmentation progressive du volumes d'affaires provenant des pays africains, asiatiques et européens. Alors que le plan marketing s'attaquera directement au dommage causé à notre réputation, ses retombées positives devraient permettre de réduire les pertes opérationnelles et financières encourues - nous verrons probablement davantage d'institutions financières de développement investir en Afrique en utilisant Maurice comme tremplin, et les institutions financières européennes allègeront éventuellement les mesures de contrôle imposées sur Maurice. Nous devrions ainsi retrouver nos partenariats avec les banques correspondantes européennes, et les virements bancaires se feront avec moins de retard.
Bien sûr, d'autres défis attendent le Global Business - par exemple, nous devrons bientôt nous préoccuper de l'imposition minimum mondial de l'OCDE qui oblige les entreprises à payer un impôt minimum de 15 %. Nous devons également faire de notre mieux pour rassurer les investisseurs internationaux et les clients individuels sur le fait que Maurice n'est pas un paradis fiscal - une perception qui semble malheureusement résister à l'épreuve du temps.
À cet effet, le partenariat public-privé solide créé dans le sillage de l'inclusion sur la liste grise du GAFI est un en héritage qui devrait valoir son pesant d'or ! Nous avons tous collaboré pour sortir Maurice de cette liste et nous exploiterons les relations établies avec nos pairs et le gouvernement pour relever au mieux tout autre défi futur. L'idée est de tirer des leçons du passé et de les appliquer de façon à favoriser une reprise et une croissance durables, et je pense qu'après la saga de la liste grise du GAFI, il s'agit là de l'un des principaux objectifs de tous les acteurs de l'industrie.