Rédaction DTOS : Y a-t-il eu un avant et un après 1 octobre pour le secteur du Global Business ?
Vinod K Bussawah, PDG d’ATCM : Le secteur du GB a commencé à ressentir les contrecoups de cette inclusion sur les listes du GAFI et de l'UE après l'annonce faite en mai 2020. Et depuis le 1 octobre 2020, nous sommes officiellement sur la liste. Bien que nous ne soyons pas en mesure de quantifier l'impact en termes de pertes de revenus pour le secteur/le pays, nous avons remarqué que notre juridiction n'attire plus des affaires de qualité, que les opérateurs existants sont inquiets de la situation actuelle et que les gros clients institutionnels se sont mis à considérer d'autres options que Maurice. Si la tendance se poursuit, nous assisterons à une baisse de l'IDE, ce qui exercera une pression sur notre marché des changes.
Rédaction DTOS : En tant que PDG de l'ATMC (Association of Trust and Management Companies), avez-vous pris la température chez les opérateurs de sociétés Global Business ?
Vinod K Bussawah : Nous nous focalisons sur les affaires que nous traitons et collaborons avec les organes de réglementation pour rassurer nos clients sur le fait que Maurice s'est engagé à « sortir » de cette liste noire bien avant le temps imparti par l'UE. Cela ne vous aura également pas échappé : le 1 octobre 2020, le Ministère des services financiers et de la bonne gouvernance a émis un communiqué visant à rassurer la communauté des investisseurs, locaux et internationaux, sur le fait que Maurice demeure très engagé dans la mise en œuvre du plan d'action du GAFI, et à réitérer la détermination du gouvernement à poursuivre ses efforts pour une pleine application du plan d'action du GAFI dans les meilleurs délais. Ce communiqué a été bien accueilli par les opérateurs et leurs partenaires. Toutefois, nous attendons d'autres communications de ce genre de la part des autorités pour tenir tout le monde au courant des progrès réalisés.
Rédaction DTOS : Est-ce que les banquiers ont remarqué une baisse des flux d'investissement, vers et de Maurice, depuis le 1 Oct ? Si oui, était-ce due à notre inclusion sur la liste noire de l’UE ?
Yogesh Gokool, Cadre supérieur – Directeur des services bancaires internationaux chez AfrAsia Bank : Je pense qu'il est sans soute un peu prématuré de vouloir mesurer l'impact de cette inclusion sur la liste noire de l'UE sur les flux d'investissement, ou de capitaux, transitant par la juridiction mauricienne. Le pays ne figure officiellement sur cette liste noire que depuis approximativement deux mois et pour l'instant, les banques n'ont, en général, pas eu à faire face à de gros problèmes opérationnels. Bien que je ne me permettrais certainement pas de parler au nom de toutes les banques opérant sur le territoire, je peux dire, du point de vue d'AfrAsia Bank, et en me basant sur des informations recueillies au niveau de l'industrie, que le secteur bancaire semble avoir été peu secoué, ou alors de manière vraiment peu significative, du moins jusqu'à présent. Rappelons que cette possible inclusion du centre financier sur la liste noire a été annoncée depuis le 7 mai 2020.
Il est vrai que, du point de vue de notre réputation, de nombreux investisseurs et gestionnaires d'investissements internationaux, qui connaissent bien Maurice, ont tenté de comprendre les implications futures d'une inclusion sur cette liste pour leurs opérations et se sont demandés s'ils devaient redomicilier leurs fonds commun de créances (SPV). Par exemple, les fonds de capital-investissement domiciliés à Maurice recevant des fonds de l'UE sont techniquement touchés par cette inclusion du pays sur la liste noire. Toutefois, il me semble comprendre également que des structures existantes bénéficient du maintien des droits acquis et que les nouveaux fonds de succession ont obtenu une période de dérogation.
D'un autre côté, nous devrions garder à l'esprit, qu'en cette période de récession de COVID-19, où les taux d'intérêt et les rendements sont en baisse, les investisseurs sont très prudents. Ainsi, on tend à privilégier aujourd'hui la protection des actifs plutôt que la croissance et le rendement ; plus que jamais, nous sommes confrontés à une recherche de sécurité financière sur un marché instable. Aujourd'hui, les investisseurs sont peu enclins à prendre des risques et il va sans dire que sur le plan mondial, le niveau des investissements est sans doute au plus faible, et cette incertitude risque d'avoir un impact négatif durable. Avec la résurgence de la pandémie dans certaines régions d'Europe et l'application des mesures d'atténuation et de confinement que cela a entrainée, on s'attend à une paralysie de la reprise économique, ce qui devrait avoir une incidence sur les perspectives à court terme.
Avez-vous déjà remarqué un ralentissement au niveau des constitutions de structures ou de fonds pendant les dernières semaines ?
Yogesh Gokool : Les données statistiques de la Financial Services Commission concernant les nouvelles incorporations à Maurice indiquent qu'en moyenne, quelque 130 sociétés GBL et Authorised Companies, et 6 fonds d'investissement, sont créés tous les mois depuis le début de l'année. Ce qui représente une baisse de 18 % dans le nombre d'incorporations par rapport à la même période l'année précédente.
Cela dit, face au cocktail explosif que constituent les retombées de la pandémie et l'inclusion sur la liste noire, il serait effectivement étonnant que Maurice ne voit pas diminuer le nombre de nouvelles incorporations et augmenter celui des liquidations volontaires dans ce climat actuel d'investissement. Cette baisse d'activité ne concerne pas uniquement Maurice mais tous les centres financiers internationaux. Du côté du capital investissement, les opérations sont rares et les GP (General Partners - sociétés de gestion des fonds) sont confrontés à des dilemmes : c'est-à-dire l'évaluation des cibles sans l'effet COVID-19 et la capacité de dégager des fonds dans le contexte actuel ; choses qui finiront par affecter le taux de rendement interne, la performance et les honoraires. Les transactions sur le marché secondaire deviennent difficiles, ayant pour conséquences l'extension de la durée de vie des fonds existants et des sorties retardées.
Toutefois, derrière tout défi, se trouve une opportunité. En effet, les investisseurs devraient retrouver le goût du risque à moyen terme. Par exemple, certains investisseurs opportunistes sont actuellement à l'affût d'actifs dévalorisés alors que d'autres explorent de nouveaux secteurs d'investissement tels que l'industrie pharmaceutique et la technologie. Ceux qui ont adopté une stratégie buy-and-hold (achat et conservation jusqu'à l'échéance) et ont investi dans le secteur défensif n'ont pas beaucoup fait tourné leurs portefeuilles en raison de l'horizon de placement à long terme.
Indépendamment de la liste noire de l'UE, je pense qu'il s'agit d'une tendance qui se poursuivra sur le court terme. Cependant, d’ici 2022, les choses auront changé et cette croissance économique négative devrait s'inverser, faisant bondir le nombre de transactions transfrontalières. Nous devrions alors voir une demande pour des fonds d'investissement de plus en plus forte.
Rédaction DTOS : Quelles mesures pourraient prendre les sociétés de gestion mauriciennes pour combler les lacunes identifiées par le GAFI ?
Vinod K Bussawah : Des modifications ont été apportées à plusieurs volets de notre législation et cela signifie notamment que le secteur sera soumis à davantage d'opérations de vérification et de mesures correctives pour garantir la conformité. Nos membres voient ces changements d'un œil favorable car ils devraient être bénéfiques au secteur.
Nous avons coopéré et travaillé en association étroite avec les organes de réglementation pour remporter cette bataille commune qu'est la « liste noire de l’UE », et nous continuerons à le faire.
Rédaction DTOS : Êtes-vous confiant que Maurice sera retirée de la liste et dans le délai imparti ?
Vinod K Bussawah : La mise à niveau significative de notre cadre règlementaire et le travail de sensibilisation important accompli par l'organe de règlementation montrent la détermination de Maurice à « sortir » de ces listes GAFI/UE. D'autres secteurs sont engagés dans le même processus, comme l'immobilier, la joaillerie et le secteur des jeux où la même transformation s'opère.
Le puissant comité présidé par le Premier Ministre, ayant précisément pour mission d'examiner les mesures à prendre pour satisfaire aux exigences du GAFI, témoigne de la détermination du gouvernement à atteindre cet objectif. Nous tenons également du ministre responsable de notre secteur$$ que Maurice fera le nécessaire pour se conformer aux exigences du GAFI.
Selon le rapport de la dernière séance plénière du GAFI, les progrès réalisés par Maurice jusqu'ici ont été salués, et ce malgré que le pays ait été en confinement pendant une période de 3 mois. Nous devons également être réalistes car il y avait beaucoup à faire et il reste du chemin à parcourir. Nous savons qu'il y aura d'autres rapports à soumettre au GAFI. Le compte rendu de la séance plénière de Fév. 2021 du GAFI sera déterminante.
Une fois retirée de la liste grise du GAFI, nous devrons faire une demande à l'UE pour qu'elle nous ôte de sa liste noire, un processus qui prendra environ six semaines.
Rédaction DTOS : Quels seraient les conséquences pour les secteurs bancaires et Global Business mauriciens, à moyen/long terme, si Maurice n'était pas retirée de la liste du GAFI ?
Yogesh Gokool : Une présence prolongée sur la liste noire, serait évidemment préjudiciable au pays sur le moyen/long terme. Nous n'aurons plus uniquement à nous préoccuper des risques de réputation et commerciaux, mais également de ceux associés au côté opérationnel. Par exemple, devrons-nous nous préparer à être confrontés aux scénarios suivants ?
- Nos banques correspondantes refusant de répondre aux besoins des banques mauriciennes ?
- Un virement bancaire international ne pouvant être traité qu'au bout de jours, voire de semaines ?
- Des ressortissants européens ne pouvant transférer des fonds à Maurice lors d'acquisitions de biens immobiliers
Des importateurs mauriciens ne pouvant effectuer des transferts vers l'Europe lors d'opérations d'importation
Heureusement, il ne s'agit que d'un problème temporaire. Lors de la séance plénière virtuelle tenue entre les 21 et 23 octobre 2020, le GAFI a souligné les progrès importants réalisés par Maurice au niveau de l'alignement de la juridiction sur les meilleures pratiques internationales pour combattre le blanchiment d'argent, le financement des activités terroristes et le financement de la prolifération. Il est louable de la part des autorités d'avoir pris de l'avance par rapport aux délais pour maintenir notre statut de « Largement Conforme ». Ne perdons toutefois pas de vue que ce résultat est le fruit d'un effort collectif, fourni par tous les acteurs faisant partie d'un écosystème. Ces efforts soutenus pour combler les 5 lacunes constatées par le GAFI doivent être maintenus afin de pouvoir envisager une sortie de la liste d'ici la prochaine évaluation du GAFI au premier trimestre 2021.
Vinod K Bussawah : Plus nous continuerons à figurer sur cette liste, plus nous verrons diminuer notre volume d'affaires, et des impacts se feront ressentir en termes de :
- Perte d'IDE et pression sur le marché des changes
- Perte d'emplois directs et indirects
- Sans oublier que reconquérir nos clients qui auront préféré d'autres juridictions pendant la période « liste noire » sera vraiment difficile
Les centres financiers du monde entier sont, aujourd'hui, plus sophistiqués que ceux d'il y a une dizaine d'années. Le secteur des services aux entreprises est de nos jours plus global et intégré. Les clients veulent protéger et faire croître leurs actifs dans un environnement économique et politique de plus en plus complexe et la Covid-19 ne fera qu'exacerber ce désir. Nous pouvons donc choisir de voir cela comme une opportunité de nous réinventer, et de passer d'une activité traditionnelle à quelque chose de nouveau.