Comment préserver ses investissements et maintenir son patrimoine à un moment où la crise est partie pour durer?
Il y a plusieurs points. Très souvent, on emploie une gestion dite traditionnelle, qui est la méthode des 60/40. C’est 60 % investi en actions et 40 % en obligations. On a vu avec la période qui s’est écoulée sur l’année que cela ne fonctionnait pas vraiment. Un certain nombre de gérants ont perdu de l’argent. Cette méthode qui est censée être robuste affiche des périodes où elle est aussi mal menée pour une raison simple : quand l’économie va fondamentalement mal, tous les actifs sont corrélés. De plus, à partir d’un moment où on est dans une gestion diversifiée seulement en actions et en obligations, on se retrouve dans une situation où en période normale, cela fonctionne mais lorsqu’on est dans une période très volatile ou extrême, cela ne fonctionne plus.
Face aux incertitudes actuelles, pour pouvoir protéger son patrimoine au mieux, nous conseillons la diversification sur plusieurs devises. La plupart des portefeuilles sont en EUR ou USD principalement mais d’autres devises peuvent agir comme amortisseurs. Par exemple, nous recommandons des allocations en CHF, GBP et Yuan. Cette dernière deviendra probablement une devise majeure. Aujourd’hui il y a une attente d’une devise alternative au USD, même si elle reste la monnaie de réserve, beaucoup d’incertitudes à plus long terme pèse sur le dollar. Le Yuan pourrait jouer un rôle mais il faut qu’elle respecte certains critères nécessaires. Cette stratégie a pour but de profiter des forces de chaque devise, le CHF pour sa stabilité, le GBP pour son cote spéculatif suite au Brexit, et le Yuan pour des taux sans risques attractifs.
En plus de la diversification en devises, nous privilégions une approche qu’on appelle core-satellite. L’approche core est la gestion traditionnelle qui correspond à l’objectif de performance de nos clients. Mais nous cherchons en plus de cela de la création additionnelle de performance, c’est-à-dire l’alpha. Il s’agit de certains actifs qui peuvent être totalement décorrélés du marché ou pour lesquels les risques sont asymétriques au risque du marché. Cela peut être du private equity, des structures de produits spécifiques ou cela peut être aussi de jeunes sociétés qui sont dans un secteur d’avenir et qui, elles, ne sont pas soumises et sensibles à la volatilité des marchés.
En matière d’investissement, fondamentalement, quel est en ce moment la posture adoptée par la clientèle fortunée ?
Aujourd’hui, nous faisons face à des incertitudes à court terme, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup d’évènements qui sont en train de se dérouler. Je pense notamment aux conséquences des élections américaines. La période de transition n’est pas évidente et démontre un certain clivage entre les membres du parti républicain. Le président Trump a toujours les pleins pouvoirs jusqu’au 20 janvier et il pourrait nous surprendre. L’incertitude quant à la couleur du Senat en est une autre. Il y a aussi le manque de certitude sur la reprise du marché du travail aux USA et le vaccin que nous attendons toujours. Et toutes ces inquiétudes sont matérielles tant que nous n’avons pas de vaccin contre le nouveau coronavirus. Sans ce vaccin, le retour à la normale est difficile. Les récentes annonces de Pfizer ou celles de Moderna ne sont pas en soi des indicateurs de fin de pandémie. Nous avons à court terme énormément de facteurs qui nous poussent à surpondérer la partie non risquée de nos portefeuilles. À court terme, tous ces impondérables sont à prendre en compte.
Les banques centrales ont agi et sont encore là pour éviter la dégradation de la situation économique. Elles ont montré leur capacité à acheter du papier et assurer la fluidité de ces marchés. Si on regarde au long terme, on sait qu’une fois que tout retournera à la normale, on repartira sur un rythme plus stable avec des rendements qui seront plus intéressants.
Vos clients expriment-ils des inquiétudes par rapport au fait qu’une partie de leur patrimoine pourrait s’effondrer en raison de la crise ?
Cette inquiétude n’est pas forcément apparente parce que ceux qui ont des patrimoines financiers importants sont aussi souvent des personnes qui ont déjà connu des krachs boursiers. Ils comprennent le fonctionnement ainsi que les hauts et les bas des marchés financiers, qui sont des paramètres «normaux». Il y a des cycles économiques qui font que les marchés vont monter ou baisser. Il faut identifier ces indicateurs pour se préparer à ces variations.
Maintenant la question est plutôt de se dire : face à ces potentielles inquiétudes, quelle est la position que nous devrons tenir ? Est-ce que si je pense qu’il y a un problème devant moi, je dois en profiter pour désinvestir complètement ? Avoir cette position-là signifierait que les banques centrales n’interviendraient plus à l’avenir. Il faut plutôt se dire : sur un horizon d’investissement plus long, qu’est-ce que je souhaite faire ? Est-ce que je profite de ces moments pour réinvestir ? Est-ce que je veux me positionner en faveur d’une rotation sectorielle de mes actifs pour allouer sur des secteurs valeurs plutôt que de croissance ? Dès lors que nous reviendrons sur une phase d’expansion, d’autres secteurs vont être plus dynamiques et plus attractifs que les secteurs phares de l’année.
Les clients sont-ils toujours là malgré la crise ?
Nous avons eu la chance que nos clients soient restés probablement parce que notre approche est bonne. Certains ont émis des inquiétudes, quelques-uns avaient d’autres projets et ont récupéré une partie de leurs avoirs pour pouvoir les dépenser dans d’autres actifs ou les investir ailleurs. Mais notre clientèle a fait confiance à une institution qui offre une certaine solidité et efficacité
Le principe de la gestion de fortune, c’est de se projeter. Pour réussir à se projeter dans les meilleures conditions possibles, il faut établir des scénarios. Nous prenons toujours trois scénarios : un scénario principal, un scénario alternatif et un scénario extrême. Par rapport à ces scénarios, nous allons émettre un certain nombre d’hypothèses qui sont en fait des catalyseurs de marché. Elles vont être vérifiées et nous allons constamment les monitorer pour voir si nous allons dans le bon sens.
Pour ce qui est du post-Covid, le scénario principal était une reprise de l’économie de manière lente et relativement difficile qui va pousser les gouvernements et les banques centrales à injecter de l’argent. Ensuite, en fonction des imprévus qui peuvent se produire, comme les incidences de l’élection de Joe Biden. Son plan de relance qui devrait rentrer en vigueur en 2021 devrait soutenir l’économie américaine, mais tirer les taux d’intérêt longs vers le haut.
En ce sens, quelle est votre approche pour attirer les grosses fortunes ?
C’est la compétence, la technicité et la capacité d’analyse. C’est aussi la capacité à s’adapter à des besoins et à répondre à des solutions précises. Évidemment, nous avons une façon d’investir très institutionnelle. En revanche, un client peut avoir des objectifs ou des attentes qui peuvent être relativement différentes. Certains de nos clients peuvent être tentés de faire un coup en pariant sur un secteur ou sur une nouvelle technologie. À ce moment-là, c’est aussi à nous d’avoir cet esprit suffisamment analytique pour être capable à la fois d’avoir une gestion de portefeuille qui se veut sur le long terme, et d’avoir la possibilité de trouver ce qu’on appelle des opportunités à court terme.
L’environnement financier est plus complexe aujourd’hui. Jusqu’à quand devrait perdurer la période de volatilité sur les marchés des capitaux ?
La volatilité est une donnée intrinsèque des marchés. Un marché ne peut pas avoir zéro volatilité. Qui dit zéro volatilité, dit une ligne plate où il ne se passe rien. La force du marché et du capitalisme en général, c’est que nous créons de la valeur. Si nous créons de la valeur, elle est reflétée dans les profits et les profits sont reflétés sur les marchés.
La volatilité, est le résultat des attentes qui existent par rapport aux projections qui sont faites ; s’il y a une déception ou une surprise positive, les marchés vont réagir. La volatilité est la variance par rapport à la moyenne, c’est-à-dire la différence par rapport à l’anticipation. Ce sera l’élément surprise positive/négative, et c’est cela qui est important. Cela veut aussi dire que s’il n’y a pas de volatilité, il n’y a pas de tendance et s’il n’y a pas de tendance, il n’y a pas de marché. Au lieu de la voir comme un problème, il faut la voir comme une opportunité. C’est un indicateur du sentiment du marché qui nous permet de nous positionner par rapport à des actions ou des investissements. Aussi, plus la volatilité est élevée, plus la perception du risque par les marchés financiers est élevée. Plus elle est faible, plus nous considérons que nous sommes dans une certaine stabilité.
Vous avez souligné il y a quelque temps qu’il n’y a pas de mauvais placements, mais de mauvaises explications. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Avant d’arriver à un portefeuille, il y a toute une analyse au préalable qui a été faite. Il y a une projection qui a été menée et elle arrive à une solution d’investissement, quelle qu’elle soit. Cette solution d’investissement est murement réfléchie. Si en revanche, elle n’est pas expliquée à la clientèle, c’est là où il y a un décalage entre les attentes de l’investisseur et la réalité du produit.
Quand je dis qu’il n’y a pas de mauvais placement, c’est que l’ensemble des solutions d’investissement est intéressant. On peut investir sur l’or, sur les actions, les obligations… Notre objectif, c’est d’être capable de pouvoir proposer le produit qui correspond aux attentes. C’est en ce sens que l’explication est importante.
Justement, vous estimez que cette période de crise est propice à des opportunités. Quelles sont ces opportunités ?
Ce que l’on voit aujourd’hui, nous avons eu une remontée des marchés actions qui restent toujours attractives à moyen terme. Cela veut dire qu’en tant qu’investisseur avec une vision à moyen-long terme, je vais maintenir une position en actions.
On peut partir du principe qu’un certain nombre d’institutions aussi bien financières que politiques cherchent à maintenir une certaine stabilité. Pour obtenir cette stabilité, il faut utiliser les outils. Ils peuvent être des outils conventionnels ou une gestion dite non conventionnelle.
Depuis les années 80, ce qu’on a appelé le Greenspan put a donné un sentiment aux investisseurs que quoi qu’il arrive, les banques centrales vont intervenir dès lors qu’il y aura une vraie correction. Donc, certains investisseurs qui ont connu ces crises, attendent cette opportunité.
Pour finir, selon les prévisions des instances internationales, la Chine sera la seule économie au monde à enregistrer une croissance en 2020. Qu’est-ce que cela représente en termes d’opportunités pour la gestion de fortunes chinoises à partir de Maurice ?
Aujourd’hui, la Chine est un acteur important. On l’a vu. Il y a une guerre commerciale qui a débuté en 2018 entre la Chine et les États-Unis. Elle continue avec le plan quinquennal annoncé deux semaines de cela par le gouvernement chinois qui vise à plus d’ouverture aux étrangers des marchés financiers chinois et également la volonté de continuer à être le leader dans le secteur technologique. Cela veut dire qu’aujourd’hui, lorsqu’on regarde les chiffres, la Chine est la seule grande économie qui va afficher une croissance qui devrait être de l’ordre de 2 % cette année à comparer à -8 % en zone européenne et en grosso modo -3 ½ % aux États-Unis.
La Chine avait jusque récemment développé toute son économie sur un endettement public. Pour poursuivre ce développement, il s’avère que la Chine a décidé d’ouvrir son marché des capitaux pour que les étrangers puissent financer les projets futurs des entreprises locales.
En outre, la Chine est dans une situation économique plus favorable, parce qu’elle a su trouver les moyens de pallier sa dépendance aux exportations. Ce qui fait que le pays va progresser, c’est qu’il est en train de créer une réelle classe moyenne. Cette classe moyenne va créer une demande intérieure qui va être suffisante pour compenser la baisse des exportations.
Il y a aussi l’appréciation du yuan par rapport aux autres devises. Le taux de change est fixé aujourd’hui mais il est clair que si l’économie est solide et que le décalage assez important par rapport au reste du monde, la devise devrait s’apprécier. La Chine est déjà revenue a des niveaux de croissance trimestrielle à peu près équivalente à son niveau ’normal’. Nous restons clairement positionnés sur cette région.