Quelles sont les implications pour la juridiction avec Maurice qui est fiché sur la liste noire de l’Union Européenne (UE) ?
Maurice dessert déjà environ 21 000 Global Business Companies (GBC) et près de 1 000 fonds d'investissement internationaux avec une base d'actifs nets de plus de 85 milliards de dollars américains. On estime que l'actif total des sociétés évoluant dans le secteur global business est de USD 717 milliards.
Les conséquences sur l’emploi ne seront pas des moindres. Le secteur des services financiers emploie plus de 15 000 personnes, et affiche une croissance annuelle de plus de 5%. Sous forme d’impôts, le secteur des services financiers reverse 180 millions de dollars à l’état annuellement. La perte d’attractivité pourrait conduire à un ralentissement des secteurs tels que l’immobilier, la comptabilité juridique, l’hôtellerie, le tourisme et les travailleurs qualifiés.
L’inclusion de Maurice sur la liste noire entraînerait potentiellement un certain nombre d’implications sérieuses pour le secteur financier et bancaire. Celles-ci peuvent être regroupées en deux catégories principales. Premièrement, cela concerne le risque de réputation. Les dommages causés par cette inscription potentielle pourront porter un lourd préjudice à l’économie nationale, car la confiance de l’ensemble des opérateurs économiques risque d’être impactée. D'autres juridictions peuvent également, soit immédiatement, soit progressivement, se méfier des transactions entrant et sortant de Maurice, compromettant ainsi la bonne réputation de notre juridiction. Cela entrainerait une perte d'activité au-delà de la zone européenne. Par ailleurs, la Reserve Bank of India a déjà commencé à décliner des licences aux investisseurs opérant à Maurice en raison de son incapacité à effectuer les vérifications préalables appropriées
Deuxièmement, Le risque commercial est présent. La Banque européenne d'investissement et les autres institutions de financement du développement qui dirigent les fonds de l'UE ne pourront pas investir à Maurice. Il y aura ainsi une baisse directe considérable de l'activité des sociétés de gestion, des cabinets d'avocats, des cabinets comptables et des banques. Les ressortissants de l'UE hésiteront à investir à Maurice, ce qui aura un impact important sur le secteur immobilier mauricien.
Est-ce que la nouvelle loi, Anti Money Laundering and Combatting of Financing Terrorism que le ministre Mahen Seerruttun a présenté mardi permettra au pays d'avancer plus rapidement à sortir de cette liste ?
Le récent Budget national indique clairement l'engagement du gouvernement mauricien à résoudre ce problème. Maurice n'a pas de problèmes de conformité technique puisqu’elle est conforme à 35 des 40 recommandations. Par ailleurs, Maurice a déjà répondu aux attentes du Groupe d’action financière (GAFI) en ce qui concerne les «Big Six Recommendations». Cependant, Maurice doit encore démontrer un niveau d'efficacité accru de ses systèmes de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et corriger les cinq lacunes.
À la suite de la liste grise du GAFI, Maurice a immédiatement pris un engagement politique de haut niveau de continuer à travailler avec le GAFI afin de renforcer rapidement l'efficacité de son régime de lutte. Dans cet esprit, le nouveau projet de loi sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme a été présenté au Parlement cette semaine pour adoption. Tout indique que Maurice répond rapidement aux préoccupations du GAFI afin d'être retiré de sa liste grise (et par conséquent de la liste de l'UE) le plus rapidement possible.
Selon la Mauritius Bankers Association, les banques correspondantes vont exercer une vigilance accrue avant de valider les transactions qui se font par le Global Business mauricien, ce qui va occasionner des retards. Vos commentaires ?
Les paiements bancaires à destination et en provenance de l'UE en général (et pas seulement par les sociétés de Global Business) seraient soumis à des mesures de diligence renforcée (EDD) et, dans certains cas, pourraient être rejetés par les systèmes bancaires. Les banques et les professionnels de l'UE seront tenus de renforcer leur contrôle sur toutes les transactions commerciales émanant de Maurice. Cette surveillance supplémentaire allongera les délais de traitement, rendra les évaluations des risques plus fréquentes et, par conséquent, les coûts de conformité plus élevés. À un niveau plus large, les relations avec les banques correspondantes pourraient être impactées de manière négative. Les paiements pour les importations pourraient aussi faire l'objet de contrôle strict ou pourraient être refusés par des banques étrangères.
Ayant exposé les risques ci-dessus, il convient également de mentionner que le secteur bancaire local répond aux normes de conformité les plus élevées en matière de contrôles pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. D’ailleurs, le rapport du GAFI cible les entreprises et professions non-financières désignées et non les banques en soi.
Alors que Maurice se repositionne sur l'Afrique, l'annulation de ses traités avec le Sénégal et maintenant la Zambie est un coup dur. Faut-il accélérer la diplomatie économique avec les partenaires africains ?
Les résiliations des traités ces deux pays ne sont pas vraiment une grande surprise. Bien que le traité du Sénégal ait été résilié unilatéralement l'année dernière et que nous n'ayons plus rien entendu depuis, le traité de Zambie va probablement être renégocié. Ceci est un peu conforme au nouveau principe BEPS (Base Erosion Profit Shifting) et nous pouvons nous attendre à ce que la plupart des traités soient renégociés par conséquent.
Il est vrai que la fiscalité est un coût pour un investisseur international et un élément clé pour déterminer où et comment structurer un investissement transfrontalier. Cependant, il ne faut pas oublier que ce n'est pas le seul élément ou risque à gérer. Vous avez également le risque d'investissement et le risque juridique, par exemple, qui sont tout aussi importants.
Au cours des trois dernières décennies, Maurice s'est positionné comme le conduit privilégié pour les investissements à destination et en provenance de l'Afrique ainsi que de l'Inde. Notre pôle financier a développé un écosystème propice à la promotion des investissements et des solutions transfrontalières. La juridiction dispose de l'étendue et de la profondeur adéquate de produits et de professionnels hautement spécialisés pour répondre aux exigences des clients internationaux modernes.
Maurice devrait certainement s'engager davantage avec d'autres pays africains, car nous ne sommes pas le seul centre financier international au monde à promouvoir les investissements en Afrique. La concurrence est bien présente, y compris de nouveaux hubs financiers émergents comme le Rwanda.